Propos lesbophobes au Bifff, une projection dégénère: coups, cris, insultes… "on n’a jamais vu ça en 42 ans"
La projection du film Love Lies Bleeding de Rose Glass a été interrompue ce samedi soir au Brussels International Fantastic Film Festival.
- Publié le 14-04-2024 à 16h35
- Mis à jour le 14-04-2024 à 20h37
Les témoignages affluent sur les réseaux sociaux. À 19 h ce samedi soir, le Brussels International Fantastic Film Festival (Bifff) diffusait Love Lies Bleeding au Palais 10. Un film qui était très attendu puisqu’il n’a pas été distribué en Europe. Seul le Bifff le proposait.
”L’actrice principale Kristen Stewart a clairement dit que c’était un film pour la communauté lesbienne,” nous explique Naé, présente à la projection. Certaines sont venues de Paris, voire de plus loin, pour cette séance.”
”Je me souviens de la première image que j’ai vue de Love Lies Bleeding il y a quelques mois, Katy O’Brian et Kristen Stewart sur le capot d’une grosse bagnole, lesbiennes, gouines, magnifiques, réelles, puissantes,” raconte un témoignage sur X. “On a vu ce qu’on passe notre temps à chercher qui était là en entier, nos corps, nos baisers, nos histoires. On s’est réveillé le 13 avril l’excitation au ventre […] on s’est vu.es dans le métro, on a formé un convoi de lesbiennes jusqu’au palais 10. C’était beau à voir.”
Pourtant, le groupe déchante très vite : ” on a senti que l’ambiance n’était pas celle que l’on imaginait.”
Naé reprend : “La séance commence et on entend beaucoup de commentaires dans la salle. Des “aouuuuh” quand un loup apparaît, ce genre de chose. On sait que cela fait partie de l’ambiance du festival. C’est vrai que nous n’étions pas toutes prêtes pour ça mais la séance aurait très pu continuer sans souci.” C’est autre chose qui a mis le feu aux poudres. “Très vite, on a entendu des “beurk” lors de scènes de sexe lesbien, des “sales gouines”, des, “elle aime ça la b*te,” Lorsque deux lesbiennes s’embrassent, des applaudissements à une scène de viol… Il faut comprendre que ce sont des propos que l’on entend dans notre vie de tous les jours. Ici, on pensait avoir un moment à nous. C’était notre seule chance de voir le film au cinéma.”
Le ton monte : “dans notre groupe, on s’énerve, certains commencent à répondre. Des coups ont été échangés (sans faire de blessé nécessitant de soins, par contre du matériel a été dégradé). Puis une personne a quitté la salle en disant que c’était la pire séance de sa vie. On l’a suivie. On s’est trouvé 60 lesbiennes dehors.
Le groupe demande alors un remboursement mais veut aller plus loin. “On voulait couper la diffusion. Ce n’est pas normal de laisser passer des propos lesbophobes comme si de rien n’était et de potentiellement en laisser dire pendant la séance qui continuait. L’équipe du festival qu’on nous envoie ne nous comprenait pas. On ne se sentait pas écoutées. On nous disait que les cris pendant la séance, c’était l’ADN du Bifff.”
Le groupe commence alors à manifester devant les portes d’entrée de la salle (verrouillées entre-temps) pour parasiter la séance au point que le film sera mis sur pause. La police arrive avec des chiens pour encadrer la manifestation. La séance reprendra finalement mais le public sortira par les portes arrière. “Sécurité avant tout” nous dit-on.
”Humour toujours, mais respect avant tout.”
Du côté de l’organisation, “on n’a jamais vu ça en 42 ans, développe Jonathan Lenaerts, porte-parole du Bifff. On cherche à attirer de nouveaux publics pas forcément habitués au Bifff et à ces séances. Que l’on soit bien d’accord, on condamne tous les propos discriminants. Certaines personnes nous parlent d’un petit groupe qui aurait commencé à faire des remarques et des blagues visiblement pas drôles du tout, juste derrière le groupe de personnes lesbiennes venues pour l’occasion.”
L’organisation a présenté ses “sincères excuses au public” sur les réseaux : “Les évènements qui se sont déroulés lors de la séance sont inadmissibles, reprend l’organisation dans un communiqué. Les propos discriminants envers toute communauté n’auront jamais leur place au festival. Comme nous n’avons eu de cesse de la répéter : humour toujours, mais respect avant tout.”
Concernant la gestion de l’évènement, plusieurs messages sur X mais également Naé ont des reproches à faire à l’organisation. “Il n’y a eu aucune préparation à la séance pour dire que ce film avait une portée politique et expliquer un peu son contexte. Et ensuite, ce n’est pas à nous de sortir alors qu’il y a eu de propos lesbophobes. C’est ceux qui les tiennent qui doivent se faire sortir. Sur le retour plusieurs d’entre nous étaient en pleurs face à la violence des propos et de la situation.”
Le porte-parole du festival comprend ces reproches. “C’est facile de rejouer le match après, mais c’est tout à fait compréhensible. On a des habitués du festival qui ont été choqués. D’autres qui ont passé une séance normale. Vous savez, c’est une salle énorme. On avait 1 300 personnes. Lorsqu’un groupe commence à sortir au bout de 40 minutes, nous, nous n’avons pas le contexte et on ne veut pas prendre en otage tous ceux qui sont venus voir le film. C’est pour ça que la séance a continué. On voulait surtout calmer les esprits. Par contre à tête plus reposée, on est toujours ouvert à la discussion. On va devoir contextualiser davantage les séances mais on ne veut pas perdre l’âme du Bifff et avoir des projections silencieuses. Dans ce cas, autant arrêter le festival. Il va y avoir un gros travail de réflexion au sein des équipes.” Gros travail en perspective pour le festival qui se revendique ouvert à tous et qui prône la liberté de ton.
À notre connaissance, aucune plainte officielle n’est en préparation, ni pour les dégradations de matériel, ni pour les propos lesbophobes.